La conclusion de Hackers en 1984 est assez sombre : le logiciel semble être devenu un produit comme un autre, à vendre et à protéger en tant que secret de fabrication. De plus les vrais hackers, les vrais fous d'informatique, semblent appartenir au passé. Force est de constater que Levy était excessivement pessimiste :

  • Non, les vrais hackers n'ont pas disparu au début des années 1980. Ainsi, Linus Torvalds, et tous ceux qui se sont mis à produire de l'open source à sa suite, sont de vrais hackers, plutôt dans l'esprit des game hackers : ils sont arrivés à une époque où l'ordinateur personnel était accessible à tous, et se sont mis à développer, pas forcément des jeux, mais par exemple un système d'exploitation complet de type UNIX. Dans un autre registre, Larry Page et Sergei Brin ont monté Google à la fin des années 1990 selon un mode anarchique qui rappelle étrangement l'histoire d'entreprises comme Apple ou Sierra On-Line à leurs débuts. L'évolution ultérieure de Google (une institutionnalisation et une migration vers un mode de fonctionnement plus traditionnel) rappelle également celle de ses prédécesseurs.
  • L'éthique hacker (décentralisation, pas de bureaucratie, l'information doit être libre d'accès et gratuite) est florissante depuis la diffusion généralisée d'Internet : au-delà du mouvement open source qui concerne l'informatique, l'éthique hacker est à la base de projets comme Wikipédia ou OpenStreetMap.

Cependant, du côté des fournisseurs de matériel et de plates-formes, on constate parfois un certain raidissement qui va tout à l'encontre de cette éthique hacker. Je me souviens par exemple avoir acheté en 1991 une imprimante Citizen 120D+, qui elle était fournie avec un manuel complet, décrivant tout son jeu de commandes, le tout accompagné de nombreux exemples d'utilisation en BASIC. Désormais, le matériel informatique est fourni sans documentation technique, et il est parfois impossible d'obtenir ne serait-ce que les spécifications, même moyennant finances. Le comble de la fermeture est la plate-forme iPhone, pour laquelle la documentation est disponible, mais où la diffusion de logiciel est soumise à un comité de censure. Il s'agit d'une régression majeure depuis les tout débuts de l'histoire de l'informatique : quelle que soit la plate-forme, avant l'iPhone, tout un chacun pouvait développer et diffuser du logiciel sans l'assentiment d'un autre acteur, fût-il le développeur de ladite plate-forme. L'iPhone crée un précédent que j'espère sans suite.

Du côté des « citoyens », il semble y avoir plusieurs courants contradictoires en ce qui concerne la technique en elle-même. D'un côté, la science est ringardisée, de même d'ailleurs que le monde intellectuel en général. Dans leur orientation, les adolescents ont parfois tendance à privilégier les filières réputées lucratives à celles qui promettent des satisfactions intellectuelles. La technique séduit moins, voire est perçue négativement, comme le montre la récente « psychose des antennes ». D'un autre côté, il existe un mouvement pour s'approprier, ou se réapproprier, la technique : modifications de matériel ou de logiciel, réalisations personnelles. Le néologisme bidouillabilité (hackability) désigne la capacité d'un objet à être modifié, détourné, approprié par ses utilisateurs. Vers un renouveau de l'esprit hacker, penchant écolo en plus ?