Christophe Jacquet

Des hackers à la bidouillabilité

Je viens de lire le livre Hackers, heroes of the computer revolution de Steven Levy. Ce bouquin, qui date de 1984, comporte quatre parties :

  1. True hackers : au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, à la fin des années 1950 et pendant les années 1960, les passionés de trains électriques et de réseau téléphonique découvrent l’informatique.
  2. Hardware Hackers : dans les années 1970, la Californie passe du mouvement hippie aux premiers ordinateurs personnels, et notamment l’Altair et l’Apple II.
  3. Game Hackers : au début des années 1980, la nouvelle génération découvre les premiers ordinateurs personnels, et se lance dans la création de jeux vidéos.
  4. The last of true hackers : en 1984, Richard Stallman est dégoûté de voir l’esprit hacker du labo d’IA du MIT se dissoudre dans les dollars et les sources fermées. Il venait à l’époque de lancer le projet GNU et de s’autoproclamer dernier des hackers.

Ce livre est passionnant, bien que passablement américanocentré : l’auteur semble n’être que vaguement conscient qu’il existe des contrées au-delà des États-Unis. Mais la lecture de hackers mène à diverses réflexions sur le monde d’aujourd’hui.

La conclusion de Hackers en 1984 est assez sombre : le logiciel semble être devenu un produit comme un autre, à vendre et à protéger en tant que secret de fabrication. De plus les vrais hackers, les vrais fous d’informatique, semblent appartenir au passé. Force est de constater que Levy était excessivement pessimiste :

Cependant, du côté des fournisseurs de matériel et de plates-formes, on constate parfois un certain raidissement qui va tout à l’encontre de cette éthique hacker. Je me souviens par exemple avoir acheté en 1991 une imprimante Citizen 120D+, qui elle était fournie avec un manuel complet, décrivant tout son jeu de commandes, le tout accompagné de nombreux exemples d’utilisation en BASIC. Désormais, le matériel informatique est fourni sans documentation technique, et il est parfois impossible d’obtenir ne serait-ce que les spécifications, même moyennant finances. Le comble de la fermeture est la plate-forme iPhone, pour laquelle la documentation est disponible, mais où la diffusion de logiciel est soumise à un comité de censure. Il s’agit d’une régression majeure depuis les tout débuts de l’histoire de l’informatique : quelle que soit la plate-forme, avant l’iPhone, tout un chacun pouvait développer et diffuser du logiciel sans l’assentiment d’un autre acteur, fût-il le développeur de ladite plate-forme. L’iPhone crée un précédent que j’espère sans suite.

Du côté des « citoyens », il semble y avoir plusieurs courants contradictoires en ce qui concerne la technique en elle-même. D’un côté, la science est ringardisée, de même d’ailleurs que le monde intellectuel en général. Dans leur orientation, les adolescents ont parfois tendance à privilégier les filières réputées lucratives à celles qui promettent des satisfactions intellectuelles. La technique séduit moins, voire est perçue négativement, comme le montre la récente « psychose des antennes ». D’un autre côté, il existe un mouvement pour s’approprier, ou se réapproprier, la technique : modifications de matériel ou de logiciel, réalisations personnelles. Le néologisme bidouillabilité (hackability) désigne la capacité d’un objet à être modifié, détourné, approprié par ses utilisateurs. Vers un renouveau de l’esprit hacker, penchant écolo en plus ?

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